Le « Sommet pour un Nouveau Pacte Financier », une initiative pour renforcer la solidarité avec les pays du Sud

Lors de la COP27 et du G20, le président Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d’organiser un Sommet pour un Nouveau Pacte Financier, qui se tiendra à Paris les 22 et 23 juin 2023. Par cette initiative, il souhaite répondre entre autre à Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, qui avait exhorté les pays riches lors de cette COP, à trouver des solutions de financement pour faire face au changement climatique dans les pays en développement. Ce sommet a donc pour ambition de discuter autour de solutions innovantes pour financer des enjeux allant de l’adaptation à l’atténuation face au changement climatique, mais aussi la lutte contre la pauvreté, jusqu’à la réduction du surendettement qui touche de nombreux pays du Sud.

L’ambition de répondre aux crises multiples qui impactent les pays les plus vulnérables

Trouver des solutions pour faire face à la multiplication des crises

« Si nous pouvons résoudre des problèmes hautement complexes comme l’envoi de gens sur la Lune ou les calvities masculines, on doit pouvoir régler de petits problèmes comme la faim et la pauvreté. » Cette phrase prononcée par Mia Mottley en septembre 2021 aux Nations Unies, met relativement bien en exergue l’engagement de la Première ministre de la Barbade pour lutter contre les inégalités mondiales. Dans cette optique elle a présenté l’initiative Bridgetown en 2022, qui a pour objectif de mieux allouer les financements internationaux aux pays les plus vulnérables face aux changements climatiques.

L’initiative de Bridgetown

Alors que la crise climatique menace en particulier les pays du Sud (et notamment les États insulaires), la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, porte depuis la COP26 une initiative de financement de l’action pour le climat. Tout cela part d’un constat global. Les pays en développement traversent simultanément plusieurs crises dont l’impact de la guerre en Ukraine et de la pandémie, un surendettement majeur et les changements climatiques accompagnée d’évènement climatiques extrêmes.

Cette «  initiative de Bridgetown  » a ainsi pour objectif de faciliter l’accès aux ressources des pays les plus vulnérables aux changements climatiques via quelques mesures concrètes comme par exemple l’apport de liquidités d’urgence, la suspension temporaire des intérêts abusifs sur les prêts souverains (les prêts contractés par des Etats), la réallocation d’au moins 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) inutilisés vers ceux qui en ont besoin…

Ce sommet décidé par Emmanuel Macron se fait directement en écho à l’initiative de Mia Mottley avec l’objectif central de pouvoir permettre aux pays en développement de faire face aux changements climatiques. Cependant, ce nouveau « Pacte Financier Global » a aussi la volonté d’aller plus loin. Il souhaite apporter des solutions suite aux multiples crises comme la pandémie de Covid 19 ou la guerre en Ukraine, qui ont renforcé la précarité dans le monde et réduit les capacités financières et budgétaires de nombreux pays, dont les pays les plus pauvres. Or, ces crises convergent en créant une catastrophe pour les personnes les plus pauvres du monde.

Aujourd’hui, la moitié de la population mondiale vit avec moins de 6,85 dollars par jour. Une situation contre laquelle Oxfam n’a cessé d’alerter depuis des années. Avec le COVID 19, la lutte contre la pauvreté a déjà reculé d’une décennie, et dans certains cas de 30 ans, comme en Afrique subsaharienne. Dans le même temps, 62 pays dépensent plus pour assurer le service de leur dette extérieure (somme que l’emprunteur doit payer chaque année pour honorer sa dette) que pour leur système de santé. Il y a dix ans ce chiffre était de 34. Dans le cas des six pays sahéliens francophones, le remboursement annuel de leurs dettes est équivalent à 140 % des sommes allouées à leurs budgets de santé.

Une situation d’autant plus dramatique que les effets des changements climatiques sont de plus en dramatiques. Par exemple une personne meurt de faim toutes les 28 secondes au Kenya, en Éthiopie, en Somalie et au Soudan du Sud. Conséquence de la pire sécheresse qu’aient connu ces pays, 2022 fut une cinquième année d’affilée avec des pluies insuffisantes, accompagnée dans le cas du Soudan du Sud de quatre années d’inondations records. Les crises de la faim due aux événements climatiques est une preuve criante des inégalités mondiales. Les pays les moins responsables de la crise climatique sont ceux qui en subissent le plus les conséquences et ont le moins de ressources pour y faire face. Les émissions historiques de carbone des pays du G20 sont 650 fois supérieures au total à celle des dix pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Face au péril climatique, les pays riches, historiquement à l’origine de ce dérèglement climatique global, ont une double responsabilité : agir pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et aider les populations les plus vulnérables à s’adapter.

Quels sont les besoins chiffrés ?

Ce sommet est donc une opportunité unique de prendre des mesures décisives pour transformer le système économique et financier mondial. C’est par des mesures radicales que nous pourrons faire face à la multiplication des crises. Les pays en développement ont besoin de 27 000 milliards de dollars d’ici 2030  pour faire face aux changements climatiques et respecter les objectifs de développement durable. Ces investissements apparaissent de grande ampleur, mais ils sont essentiels pour lutter contre les inégalités économiques et de genre. Avec suffisamment de volonté politique, atteindre une telle somme est possible.

Les pays en développement ont besoin de 27 000 milliards de $ d’ici 2030  pour faire face aux changements climatiques et respecter les objectifs de développement durable

Cet apport total de 27 400 milliards de dollars dans les PFR et les PRI se compose des éléments suivants :

  • 8 500 milliards de dollars pour la santé, l’éducation et la protection sociale. Les services publics gratuits et la protection sociale sont des armes puissantes dans la lutte contre les inégalités économiques et de genre. Pour atteindre les objectifs de développement durable, 4 400 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la protection sociale dans les pays à revenu faible et moyen inférieur, et 4 100 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires dans les pays à revenu moyen supérieur. Il s’agit de dépenses publiques récurrentes qui nécessitent un financement sur le budget.
  • 13 700 milliards de dollars pour l’atténuation du changement climatique. Ces investissements dans les secteurs de l’énergie, des transports et de l’agriculture dans les PFR et les PRI permettraient de réduire les gaz à effet de serre et de ralentir le changement climatique. Il s’agit d’investissements à long terme dans les infrastructures qui pourraient générer des frais d’utilisation et donc être partiellement financés par le secteur privé.
  • 2800 milliards de dollars pour les pertes et dommages. Ces investissements permettraient de réparer les infrastructures détruites par le changement climatique dans les PFR et les PRI. Il s’agit également d’investissements à long terme, mais ils ne sont pas attrayants pour le secteur privé car ils ne génèrent pas de nouveaux profits.
  • 2400 milliards de dollars pour l’adaptation au climat. Ces investissements visant à rendre les infrastructures résistantes au climat dans les PFR et les PRI apporteraient d’importants avantages sociaux et réduiraient la facture des pertes et dommages futurs, mais ils ne se prêtent pas non plus à l’investissement privé.

Le projet d’un Nouveau Pacte Financier pour mieux répondre à ces défis

Quel fonctionnement pour ce Sommet pour un Nouveau Pacte Financier ?

Les quatre grands objectifs de la Présidence de la République sont :

  1. Redonner un espace budgétaire aux pays qui font face à des situations difficiles à court terme, notamment les pays les plus endettés
  2. Favoriser le développement du secteur privé dans les pays à faible revenu
  3. Encourager l’investissement dans les infrastructures « vertes » pour la transition énergétique dans les pays émergents et en développement
  4. Mobiliser des financements innovants pour les pays vulnérables au changement climatique.

La préparation du Sommet est assurée par un comité de pilotage de haut niveau composé d’États et d’organisations internationales. Les pays conviés dans ce comité afin de travailler sur un sommet permettant de « bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud » sont la France, la Barbade, l’Afrique du Sud, l’Allemagne, le Brésil, la Chine, les Émirats Arabes Unis, les États-Unis, l’Inde, le Japon, le Royaume-Uni, le Sénégal, la Commission Européenne, le Secrétariat Général des Nations Unies, le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et l’OCDE.

Le gouvernement souhaite également bénéficier des contributions du secteur privé et des acteurs de la société civile. Cependant, dans la pratique, les ONG ont un accès limité aux espaces de discussion, là où certaines grandes entreprises ont été associées étroitement aux travaux préparatoires.

Malgré l’immensité des besoins, l’état actuel des discussions et l’inclusion modérée des pays du Sud dans la préparation du Sommet laissent craindre que les mesures radicales nécessaires ne seront pas prises, entretenant un système économique déjà profondément inégalitaire qui profite à une riche minorité et où les pays en développement continuent d’être désavantagés de manière durable.

Actuellement, les solutions proposées dans ce débat sont loin d’être suffisantes pour relever le défi des 27 400 milliards de dollars. Les réformes du cadre d’adéquation des fonds propres (Capital Adequacy Frameworks, CAF) devraient occuper une place prépondérante. Au-delà du fait que ce soit un débat extrêmement technique et par conséquent particulièrement excluant, ce n’est pas la solution miracle que les pays riches voudraient nous faire croire. Ils veulent simplement s’assurer les banques multilatérales de développement soit capable d’augmenter le volume des prêts sans être obligé de leur côté d’injecter plus d’argent au sein de ces banques. Une sorcellerie permettant aux pays riches de se déresponsabiliser un peu plus. Actuellement, des discussions sont en cours au sujet d’une réforme qui ne permettrait de débloquer que 50 milliards de dollars sur 10 ans, soit 0,1 % de ce qui est nécessaire pour combler le gouffre financier de 27 400 milliards de dollars.

Dans le même temps, les « clauses de catastrophes naturelles » permettraient de suspendre automatiquement et temporairement les paiements de la dette en cas de catastrophes naturelles, telles que les ouragans ou les tremblements de terre. Il s’agit d’une proposition positive, mais qui n’aurait qu’un impact limité sur les difficultés financières des pays les plus pauvres. Les clauses relatives aux catastrophes ne réduiraient pas la valeur nette des dettes, ce qui signifie que le débiteur devrait rattraper ses remboursements peu de temps après. Elles ne contribuent en rien à combler les énormes déficits de financement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Les recommandations d’Oxfam pour ce sommet

L’histoire récente nous a appris que, lorsque la volonté politique est suffisante, les gouvernements trouvent les moyens de mobiliser d’énormes sommes d’argent. Lorsque la pandémie a frappé, les pays riches ont immédiatement puisé dans leurs poches pour trouver des milliers de milliards de dollars. C’est ce genre d’ambition et d’urgence qu’il nous faut aujourd’hui. Les pays riches pourraient prendre quatre mesures en 2023 pour répondre aux besoins de 27 400 milliards de dollars en matière de dépenses sociales et climatiques dans les pays en développement :

  • Oxfam demande aux pays riches d’emprunter 11 500 milliards de dollars pour financer un « échange de dette climatique » sans précédent avec les pays plus pauvres

Un emprunt des pays riches à hauteur de 11 500 milliards de dollars pour aider à payer la facture climatique des pays les plus pauvres, et ainsi honorer leur « dette climatique » envers les pays du Sud, représenterait bien moins que leurs emprunts pour faire face à la pandémie Covid-19. Avec cet emprunt, leur ratio dette/PIB ne dépasserait que légèrement le pic de la pandémie, alors que les pays du Sud, de manière totalement injuste, sont contraints d’emprunter à des taux excessivement élevés, qui renforcent le fardeau de leur dette.

 

  • Oxfam demande la mise en place d’un impôt progressif sur la fortune nette allant jusqu’à 5 %, permettant d’ajouter 1 100 milliards de dollars annuels aux budgets des pays donateurs

La mise en place d’impôts progressifs sur la fortune et des droits de tirage spéciaux mieux répartis (DTS) suffiraient à financer ces politiques de bon sens et bien plus encore. L’essentiel des ressources levées pourraient être versées en aide publique au développement et en financements climat via le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE. Et l’argent en excédent permettrait également aux pays riches de réaliser des investissements stratégiques visant à réduire les inégalités dans leur propre pays.

 

  • Oxfam demande à ce que les pays riches tiennent enfin leurs promesses d’aide faites aux pays les plus pauvres

Depuis 1970, les Nations unies ont adopté une résolution demandant aux pays riches de consacrer tous les ans 0,7% de leur revenu national brut à l’aide publique au développement. Pourtant, ces derniers sont très loin d’avoir honoré leurs engagements, avec un déficit accumulé de 6 500 milliards de dollars par rapport à ce qu’ils auraient dû verser. Ces mêmes pays riches n’ont toujours pas honoré non plus leur promesse faite en 2009 de fournir au minimum 100 milliards de dollars annuels aux pays en développement pour financer leur transition énergétique et leur lutte face aux impacts catastrophiques du changement climatique.

 

  • Les pays riches devraient non seulement accélérer la réaffectation d’au moins 100 milliards de dollars de l’émission actuelle de DTS en faveur des pays en développement, mais aussi s’engager à procéder à au moins deux nouvelles émissions de 650 milliards de dollars d’ici à 2030.

Cette simple mesure pourrait contribuer de manière significative aux besoins de financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement et/ou à l’augmentation de leurs dépenses sociales – tout en renforçant la capacité des pays à revenu élevé à respecter les autres engagements financiers décrits ci-dessus.

En parallèle de ces grandes demandes, Oxfam soutient les demandes de la société civile internationale :

  • Les pays à faibles et moyens revenus doivent être au cœur de ce nouveau « pacte mondial » appelé de ses vœux par le Président de la République et les réformes nécessaires ne doivent pas être détournées par les agendas des pays riches.
  • Les nouveaux financements pour la lutte contre le changement climatique doivent être fournis prioritairement sous forme de dons et à destination de celles et ceux qui en ont le plus urgemment besoin (pays les moins avancés, communautés locales).
  • Il est nécessaire de fixer un objectif d’au moins 85 % de l’aide au développement intégrant l’égalité entre les femmes et les hommes (marqueurs 1 et 2 de l’OCDE) et de prendre des initiatives fortes en faveur du renforcement économique des femmes
  • Les pays riches doivent immédiatement trouver des sources de financement supplémentaires et donner la priorité au principe du « pollueur-payeur », notamment par le biais d’une fiscalité spécifique sur les grands émetteurs de gaz à effet de serre (entreprises et investisseurs dans les énergies fossiles, secteurs aérien et maritime…).
  • Les créanciers extérieurs, y compris les prêteurs privés et les prêteurs multilatéraux, doivent annuler massivement les dettes actuelles pour tous les pays qui en font la demande, y compris les pays à revenu intermédiaire, afin de ramener ces dettes à un niveau qui permette de satisfaire les droits et les besoins fondamentaux.
  • Les pays riches doivent réaffecter au moins 30 % de leurs DTS aux pays en développement, sans dette ni conditionnalité, au plus tard en 2023.