L’accès à l’IVG en Europe, un droit fondamental toujours en danger

Le droit d’une femme à disposer de son corps et maîtriser sa fécondité est un droit fondamental. Il est au cœur des luttes féministes en faveur de l’émancipation des femmes. L’avortement sûr et légal fait partie des droits sexuels et reproductifs au côté de l’accès à la contraception, l’éducation à la sexualité et l’accès à des services de santé reproductive de qualité. Alors que c’est un droit fondamental, l’IVG est interdite et/ ou pénalisée dans un grand nombre de pays. À l’échelle mondiale, 40% femmes vivent dans un pays restreignant l’accès à l’avortement. Les interdictions varient entre l’interdiction totale selon toutes circonstances et la possibilité d’avorter uniquement en cas de danger sur la vie de la mère, en cas de viol ou d’inceste (retrouvez la carte interactive du Centre pour les droits reproductifs).  Ces lois mettent en danger la vie des femmes en les poussant à la clandestinité. Une femme décède toutes les 15 minutes des suites d’un avortement non sécurisé. Le droit à l’avortement reste donc un combat toujours d’actualité !

La France est le premier pays du monde à avoir constitutionnalisé le droit à l’IVG par le vote du Parlement réuni à en Congrès à Versailles le 4 mars 2024. Cette consécration historique est le fruit de la mobilisation des organisations féministes françaises. Qu’en est-il à l’échelle de l’Union Européenne ?

Quel est l’état du droit à l’IVG dans l’Europe ?

Un droit reconnu en Europe à l’exception de Malte et la Pologne

Le droit à l’avortement sans condition est reconnu dans la grande majorité des pays de l’Union Européenne ; soit 25 des 27 Etats membres. Le délai maximal pour y recourir varie selon les Etats membres, entre 10 semaines au Portugal à 24 semaines aux Pays-Bas. Plusieurs pays européens ont d’ailleurs libéralisé l’avortement assez récemment : le Luxembourg en 2014, Chypre en 2018, l’Irlande en 2019. Auparavant, l’avortement y était ouvert seulement sous certaines conditions : viol, inceste, fœtus non viable ou danger sur la vie de la mère.

Les deux pays avec les lois les plus restrictives sont :

  • Malte demeure le pays de l’UE le plus restrictif. Jusqu’en 2023, l’avortement y était strictement interdit en toutes circonstances. En juin 2023, un léger « assouplissement » a été adopté par le Parlement avec la possibilité d’avorter sous deux conditions : le danger sur la vie de la mère et si le fœtus n’est pas viable…
  • Alors que la Pologne a été l’un des premiers pays européens à libéraliser l’avortement au cours du XXe siècle, c’est actuellement l’un des pays avec les conditions les plus strictes de l’UE. L’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie ou la santé de la femme, ou si la grossesse découle d’un viol ou d’un inceste. Ces reculs ont eu lieu après une forte pression des mouvements conservateurs opposés aux droits des femmes de disposer de leurs corps. Ils se sont traduits par une décision du Tribunal constitutionnel en octobre 2020 et l’adoption d’une loi d’interdiction en janvier 2021. Néanmoins, un nouveau gouvernement mené par Donald Tusk a été élu en 2023 promettant de réintroduire le droit à l’avortement.
La France a dépénalisé l’IVG par la loi Veil du 17 janvier 1975. Cette loi portée par Simone Veil est le fruit des luttes des mouvements féministes français incarnées notamment par le célèbre « manifeste des 343, liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste Je me suis fait avorter » paru le 5 avril 1971 dans Le Nouvel Observateur signé notamment par Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras et Agnès Varda. Depuis, ce droit n’a cessé d’évoluer. Actuellement les femmes françaises peuvent y avoir recours jusqu’à la 14e semaine de grossesse (depuis une loi du 2 mars 2022). Le 4 mars 2024 la France est d’ailleurs devenu le premier pays du monde à avoir constitutionnalisé le droit à l’avortement.

Le droit à l’avortement : un droit menacé en Europe

Le droit des femmes à disposer de leur corps est l’une des cibles principales des mouvements anti-genre et conservateurs, ce qui fait du droit à l’avortement un droit menacé à défendre.

La Pologne est d’ailleurs l’une des incarnations du « backlash » en Europe, illustrant que les droits des femmes restent des droits fragiles. La Pologne a été l’un des premiers pays d’Europe à libéraliser l’avortement. Pourtant, ce droit a reculé sous la pression du mouvement anti-choix et l’avènement au pouvoir des conservateurs. Le cas de la Pologne doit nous alarmer, le droit à l’IVG n’est jamais complétement acquis et il faut tout faire pour le protéger.

Même dans les pays ou l’avortement est légal, différentes méthodes sont mises en place pour contraindre les femmes dans leur droit de disposer de leur corps. En 2022, la Hongrie a durci sa loi sur l’avortement en imposant aux femmes ayant recours à l’IVG d’écouter les battements du cœur du fœtus. En Italie, les médecins peuvent être objecteurs de conscience est donc refuser de pratiquer des avortements. Or, le taux de médecins objecteurs de conscience est en augmentation : en 2022, cela représentait près de deux tiers des gynécologues italiens. Si bien qu’aujourd’hui, le nombre d’avortement légal diminue tandis que le nombre d’avortement clandestin augmente. Un amendement porté par le parti de la présidente du conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, a été adopté en avril 2024 autorisant l’accès aux centre d’IVG aux groupes anti-avortement. Ce vote annonce un durcissement de l’accès à l’avortement en Italie.

Se mobiliser pour le droit à l’IVG partout en Europe !

Les débats sur l’avortement au Parlement européen

Dans le rapport « Une Europe féministe ? » publié le 6 mars 2024, Oxfam a dressé le bilan de l’action de l’UE entre 2019 et 2024. Concernant l’avortement et la santé sexuelle et reproductive, peu d’actions ont été entreprises durant cette période, notamment car la santé demeure une compétence nationale. Néanmoins, le Parlement Européen s’est saisi à plusieurs reprises de ce sujet.
Premièrement à travers une résolution adoptée le 24 juin 2021. Cette résolution visait à promouvoir l’accès à une éducation complète à la santé sexuelle, à la contraception, à l’avortement, aux soins de traitement de la fertilité, et à la protection des droits des personnes LGBTI+ et des groupes vulnérables. La résolution appelait les États membres à assurer l’accès universel à un avortement sûr et légal, et à garantir que l’avortement sur demande soit légal en début de grossesse, ainsi que si la santé de la personne enceinte est en danger.

Cette résolution a été adoptée avec 378 voix pour, 255 contre et 42 abstentions. La quasi-totalité des membres des groupes de la Gauche de Manon Aubry, des socio-démocrates (S&D) de Raphael Glucksmann, des écologistes de Marie Toussaint et de Renew Europe de Valérie Hayer ont voté en faveur de cette résolution. Le parti populaire européen (PPE) de François-Xavier Bellamy et le parti Identité et démocratie (ID) de Jordan Bardella s’y sont massivement opposés.

Dans l’élan de la constitutionnalisation en France, le Parlement Européen a une nouvelle fois adopté une résolution défendant le droit à l’IVG en avril 2024. Cette fois-ci les eurodéputé-e-s ont appelé les Etats membres et la Commission à inscrire le droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’UE.

Une nouvelle fois le parti de la Gauche, les socio-démocrates, les écologistes et Renew Europe ont voté en faveur de cette reconnaissance, et le PPE de François-Xavier Bellamy et ID de Jordan Bardella s’y sont majoritairement opposés. La portée de ce vote peut sembler symbolique car la modification de la Charte des droits fondamentaux nécessite un vote unanime de l’ensemble des Etats membres – donc Malte peut par exemple exercer un droit de véto. Néanmoins, il témoigne d’une mobilisation politique à l’échelle de l’Europe pour défendre ce droit face aux menaces de recul et à la montée des partis conservateurs.

Les recommandations d’Oxfam pour faire avancer les droits des femmes et l’égalité de genre en Europe

L’Europe est un échelon crucial pour impulser des politiques féministes à l’échelle du continent mais également à travers le monde. Pour accélérer la lutte en faveur de la réduction des inégalités de genre et s’opposer à la montée des mouvements anti-genre et conservateur Oxfam France appelle à se mobiliser lors des élections européennes.

  • L’initiative citoyenne européenne « Ma Voix, Mon choix »

Oxfam soutient également la campagne « Ma Voix, Mon choix ». Cette campagne pousse une initiative citoyenne européenne (ICE) visant à soutenir les femmes en Europe qui ne peuvent pas avoir recours à l’IVG. La demande est que l’Union Européenne prenne en charge les frais de déplacements et de santé des personnes qui doivent aller dans un autre Etat membre pour recourir à l’IVG. Les ICE sont des pétitions européennes devant recueillir au moins 1 million de signatures dans au moins 7 pays membres pour que la demande soit mise à l’ordre du jour des instances européennes.

  • L’enjeu des élections européennes

Demain, l’extrême droite risque de remporter de nombreux siège supplémentaire au Parlement européen. Cette situation est une menace terrible pour le droit à l’avortement et le combat pour l’égalité de genre. Ne laissons pas le terrain européen aux anti-féministes ! Le 9 juin prochain, Oxfam appelle à voter en faveur de candidat-e-s qui se prononcent clairement en faveur d’un agenda féministe à l’échelle de l’Europe, notamment la défense des droits sexuels tels que le droit à l’avortement !

Retrouvez ici les recommandations du rapport « Une Europe féministe ? ».