L’impact économique de la crise du coronavirus pourrait faire basculer un demi-milliard de personnes supplémentaires dans la pauvreté, si aucune mesure n’est prise pour aider notamment les pays en développement, a déclaré aujourd’hui Oxfam.

À l’approche de réunions décisives qui auront lieu la semaine prochaine entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) – virtuellement du 17 au 19 avril, et de la réunion des ministres des Finances du G20 le 15 avril, l’ONG appelle les grands décideurs de la planète à conclure un « plan de sauvetage économique pour tou-te-s » afin de maintenir les pays et les communautés pauvres à flot.

Dans son nouveau rapport, Oxfam présente des analyses récentes indiquant qu’entre 6 et 8 % de la population mondiale pourrait basculer dans la pauvreté alors que les gouvernements mettent à l’arrêt des économies entières afin de maîtriser la propagation du virus. Cela pourrait constituer à l’échelle mondiale un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et un recul de 30 ans dans certaines régions comme en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Plus de la moitié de la population mondiale pourrait désormais vivre sous le seuil de pauvreté à la suite de la pandémie [1].

La crise risque accroître encore davantage les inégalités existantes partout dans le monde. Les travailleurs et travailleuses les plus pauvres dans les pays riches et pauvres seront les premiers impactés économiquement car ils sont moins susceptibles d’occuper un emploi formel, de bénéficier de protection sociale, de percevoir une indemnité chômage ou maladie ou d’avoir la possibilité de télétravailler. Et les femmes, en première ligne de la mobilisation face au virus, sont susceptibles d’être les plus durement touchées financièrement [2].

Un « plan de sauvetage pour tou.te.s » face à la crise du coronavirus

Oxfam appelle un « plan de sauvetage pour tou.te.s » qui repose sur 6 mesures prioritaires pour lutter contre les ravages économiques de la crise du coronavirus et rebâtir un monde plus égalitaire :

1- Accorder des subventions en espèces à tous ceux et toutes celles qui en ont besoin, notamment dans les pays pauvres et pour les personnes qui ont perdu leur revenu.
2- Soutenir en priorité les petites entreprises et conditionner les aides aux grandes entreprises à des mesures visant à protéger les plus vulnérables et à investir dans la transition écologique.
3- L’annulation immédiate du remboursement de la dette des pays en développement due en 2020 à hauteur de 1 000 milliards de dollars. Avec une annulation du remboursement de sa dette extérieure en 2020, le Ghana pourrait fournir 20 dollars par mois à chacun des 16 millions d’enfants, de personnes handicapées et de personnes âgées du pays pendant six mois.
4- La création de réserves internationales d’au moins 1 000 milliards de dollars, connues sous le nom de droits de tirage spéciaux ou encore « création monétaire », afin d’augmenter considérablement les fonds disponibles pour les pays. En Éthiopie, cela représenterait pour le gouvernement 630 millions de dollars supplémentaires, assez pour augmenter les dépenses de santé publique de 45 %.
5- L’augmentation de l’aide publique au développement des pays donateurs dès maintenant, au moins à hauteur de l’engagement de 0,7 % du RNB.
6- Instituer des impôts de solidarité d’urgence en taxant les bénéfices extraordinaires, les plus grandes fortunes, les produits financiers spéculatifs et les activités ayant un impact négatif sur l’environnement.

 

Aide internationale et annulation des dettes

Robin Guittard, responsable de campagne chez Oxfam France, a déclaré :

« Les retombées économiques dévastatrices de la pandémie se font ressentir partout dans le monde. Mais les populations des pays pauvres, qui peinent déjà à survivre avec des emplois précaires peu rémunérés, ne peuvent compter sur presque aucun filet de sécurité pour ne pas sombrer dans la pauvreté. »

« La France qui a un siège à la table de ces espaces doit user de tout son poids pour pousser le G20, le FMI et la Banque mondiale à prendre ces mesures, mais aussi et surtout user de sa Présidence du Club de Paris pour impulser une dynamique internationale. L’appel du ministre Bruno Le Maire à un moratoire sur la dette va dans le bon sens. Prôner l’exemple est encore mieux. La France peut décider sans attendre l’annulation des paiements de dettes qui lui sont dues par les pays en voie de développement pour 2020 pour les aider immédiatement à faire face à la crise. »

Fournir les 2 500 milliards de dollars estimés nécessaires par les Nations Unies pour soutenir les pays en développement pendant la pandémie requiert 500 milliards supplémentaires en aide au développement, dont 160 milliards, qui selon Oxfam, sont nécessaires pour renforcer les systèmes de santé publique des pays pauvres et 2 milliards en faveur du fonds humanitaire des Nations Unies.

Pour Robin Guittard : « Il est plus urgent que jamais que la France, et les autres pays riches, tiennent enfin leur promesse de dédier au moins 0,7% de leur richesse nationale au développement des pays pauvres. Pour la France cela représente 7 milliards d’aide en plus ce à quoi il faut ajouter sa participation au plan de réponse de l’ONU. Une somme importante mais néanmoins modeste comparativement aux 5 000 milliards de dollars que le G20 a déjà annoncé vouloir mobiliser pour ses économies. Surtout, une somme nécessaire pour prévenir une catastrophe humanitaire sans précédent dans les pays les plus pauvres, et notamment en Afrique où l’ONU estime que la moitié des emplois pourraient être perdus. L’heure est donc à l’action ! »

 

Conditionner les aides aux grandes entreprises et une fiscalité plus juste

Pour Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer Justice fiscale et inégalités d’Oxfam France :

« Les gouvernements doivent impérativement retenir les leçons de la crise financière de 2008 où le sauvetage des banques et des entreprises a été financé par les citoyens et citoyennes ordinaires : la crise leur a coûté des pertes d’emplois, la stagnation des salaires et des coupes massives sur les services essentiels comme la santé. »

« Les aides de l’Etat doivent aller en priorité aux plus vulnérables : elles doivent permettre d’assurer le paiement des salariés et des fournisseurs, de maintenir les activités économiques essentielles, pas de rémunérer les actionnaires ! Le gouvernement français doit suspendre immédiatement les versements de dividendes, les rachats d’actions aux actionnaires ou dans des bonus aux PDG tant que durera la crise. Les entreprises doivent comprendre que c’est dans leur intérêt, y compris à plus long terme. Encadrer les dividendes, mieux partager les richesses, investir dans la transition écologique, réduire les écarts vertigineux de salaires sont les antidotes incontournables pour résister aux prochaines crises ».

« Pour financer les moyens de lutter contre cette crise, protéger nos services publics et transformer durablement notre modèle économique, nous avons besoin d’une politique fiscale plus juste et redistributive : cela passe en priorité par un impôt sur les grandes fortunes, une taxe sur les transactions financières plus ambitieuse et une véritable lutte contre l’évasion fiscale »

Notes aux rédactions

[1] L’analyse, publiée aujourd’hui par l’Institut mondial pour la recherche en économie du développement de l’Université des Nations unies, a été menée par des chercheurs du King’s College de Londres et l’Université nationale australienne.

Selon les données de la Banque mondiale, 3,4 milliards de personnes vivaient avec moins de 5,5 dollars par jour en 2018. Les chercheurs ont utilisé des modèles mathématiques pour prédire le nombre de personnes supplémentaires qui tomberaient sous les seuils de pauvreté de la Banque mondiale de 1,90 dollar, 3,20 dollars et 5,50 dollars par jour selon une baisse du revenu ou de la consommation de 5, 10 ou 20 %. Une baisse de 20 % signifierait qu’environ 547,6 millions de personnes supplémentaires vivraient avec moins de 5,50 dollars par jour. Compte tenu de ces estimations, les chercheurs prévoient une augmentation de 6 à 8% de la pauvreté par rapport aux niveaux de 2018.

[2] Les femmes constituent près de 70 % du personnel de santé dans le monde et fournissent 75 % du travail de soin non rémunéré en s’occupant des enfants, des personnes malades et des personnes âgées. Au Bangladesh, plus d’un million de personnes travaillant dans l’industrie textile, dont 80 % sont des femmes, ont déjà été licencié-e-s ou ont arrêté de travailler sans avoir reçu leur salaire suite à l’annulation ou à la suspension de commandes d’enseignes occidentales.

Dans le monde, sur cinq personnes sans emploi, une seule a accès à des allocations de chômage. Deux milliards de personnes travaillent dans le secteur informel sans aucun droit à une indemnité maladie. La plupart vivent dans les pays pauvres, où 90 % des emplois sont informels, contre seulement 18 % dans les pays riches.

Des médias comme la Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association indiquent que plus d’un million de travailleurs du secteur du textile au Bangladesh ont perdu leur emploi suite à l’annulation ou à la suspension des commandes. Le pourcentage de femmes travaillant dans l’industrie du textile au Bangladesh est une donnée de la Banque mondiale.

Les données sur le Ghana viennent de Diloá Jacob Bailey Athias de Development Pathways, selon les données concernant la population du Département des Nations Unies pour les affaires économiques et sociales. Les données sur l’Éthiopie sont celles du Development Finance International.

Oxfam intensifie ses programmes de transferts monétaires et d’assistance alimentaire auprès des communautés vulnérables partout dans le monde, des campements urbains pauvres au Bangladesh aux communautés rurales autochtones au Guatemala. Depuis plus de 20 ans, Oxfam agit en cheffe de file en matière de programmes de transferts monétaires. Au Yémen, nous fournissons de l’argent aux familles déplacées par le conflit afin d’acheter des denrées alimentaires. En Colombie, nous fournissons de l’argent aux migrant-e-s en situation de déplacement. En République démocratique du Congo, qui a fait face à la deuxième plus grande épidémie d’Ebola de l’histoire, nous distribuons des coupons et de l’argent afin de donner la possibilité aux ménages les plus vulnérables d’acheter des denrées alimentaires et des biens de première nécessité.

Contacts presse :

Pauline Leclère 07 69 17 49 63 pleclere@oxfamfrance.org