L’accès des personnes exilées à leurs droits fondamentaux en danger
Les personnes exilées, qui arrivent en France après un périple souvent très long et traumatisant, font face à des politiques publiques visant à les empêcher de construire leur vie en France. Elles sont souvent exclues des politiques publiques et ont des difficultés d’accès à leurs droits. La précarité de leur situation, leurs conditions d’hébergement souvent extrêmement difficiles, de même que leurs difficultés d’accès à la santé, au séjour, à l’éducation, à la formation et à l’emploi en font en effet un public difficilement identifiable et accessible pour les décideurs
Néanmoins le constat reste clair : les flux migratoires, ne nous submergent pas, ne vont pas tarir, et sont même historiquement utiles au développement économique et culturel de nos sociétés. L’accueil des personnes exilées n’est pas une question de capacité, mais de volonté politique.
À l’heure où le projet de loi asile et immigration du Ministère de l’Intérieur Gérald Darmanin, prochainement discuté au parlement, et déposé en conseil des ministres le 1er février 2023 inquiète l’ensemble de la société civile et des citoyens militant pour le respect des personnes exilées, il est toujours possible d’agir ! En effet, plaider auprès de sa collectivité pour qu’elle facilite l’accès des personnes exilées à leurs droits fondamentaux, c’est possible. De nombreuses collectivités le font déjà, quelle que soit leur taille, ou la nature de leur territoire (urbain, rural), en France, comme dans le monde. Rappelons par ailleurs que ce sont les élus locaux qui élisent les sénateur.ice.s, et que c’est au Sénat que la loi va d’abord être débattue.
Concrètement, qu’est-ce qu’une collectivité solidaire envers les personnes exilées ?
L’échelle locale permet de mettre en place des pratiques “d’aller vers” afin de répondre le plus possible aux besoins de ce public. Les collectivités peuvent faire le choix d’inclure les personnes exilées dans des tarifs solidaires, par exemple dans les transports, les cantines scolaires ou les équipements sportifs. Les transports, et particulièrement en zone rurale, conditionnent l’accès des personnes aux services administratifs, de santé, d’éducation, qui déterminent leurs conditions de vie élémentaires.
Alors que les politiques migratoires vont souvent dans le sens d’une contrainte à la professionnalisation dans les métiers en tension, la question des études, de la formation et de l’insertion professionnelle libre est essentielle à la reconnaissance des personnes exilées comme des êtres humains à part entière disposant du droit à définir leur propre trajectoire de vie. Or les collectivités peuvent jouer un rôle essentiel à ce niveau, notamment par la mise en place de cours de français, de bourses d’études ou de programmes d’emplois spécifiques.
Au fait, c’est quoi une collectivité territoriale ?
Une collectivité territoriale ou locale est une entité administrative décentralisée qui exerce des compétences sur un territoire donné, indépendamment de l’État. Les collectivités locales se déclinent à différents niveaux : régions, départements, Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et communes. Ces collectivités ont leurs propres élu-e-s et institutions, et prennent leurs décisions indépendamment de l’Etat. Elles ont des compétences diverses, dans des domaines tels que l’éducation, l’action sociale, la culture, citoyenneté, logement, transport, voire dans le domaine de l’insertion professionnelle. Les collectivités locales constituent une part essentielle de l’action et de la dépense publique( 3e poste de dépense de l’État en 2022, avec 115 milliards d’euros). C’est donc l’incarnation d’une véritable démocratie locale au plus près de chez soi ! Les collectivités territoriales sont ainsi un levier majeur de l’action publique, et sont incontournables pour répondre aux défis du changement climatique et de la croissance des inégalités.
Quel est le réel pouvoir des collectivités territoriales pour favoriser l’accueil des personnes exilées
Les villes et territoires accueillant-e-s
Mais qu’est-ce que signifie être une “ville accueillante” ? Le CCFD Terre-solidaire nous rappelle tout d’abord que c’est une ville qui ne s’oppose pas à l’installation et à l’accueil des personnes étrangères sur son sol – au contraire, elle fait le choix politique de lutter contre l’exclusion des personnes exilées en instaurant plusieurs initiatives pour permettre leur hébergement et leur intégration. En bref, c’est une ville qui s’ouvre à tous ses habitants, sans considération de leur nationalité ou de leur situation légale sur le territoire.
Pour être accueillant-e-s, des engagements
En matière d’accueil pour les personnes exilées, c’est un organisme qui s’appelle l’ANVITA (Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants) qui rassemble les acteurs territoriaux engagés pour ce combat. L’ANVITA, c’est 52 communes, 4 métropoles, 3 départements et 3 régions. Partout en France, des communes de toutes les tailles et des actions de tous types sont menées pour construire des territoires accueillants. Chaque collectivité peut prendre des mesures fortes pour construire un accueil inconditionnel selon ses compétences et selon ses moyens. Toutes se reposent sur des principes qui leur sont communs : le fait de mettre en œuvre tout dispositif permettant aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dignement dans ces territoires, conformément au pacte d’Amsterdam de Mai 2016 et de la convention Habitat III de l’ONU d’octobre 2016 par exemple.
De même, ces collectivités ont un engagement fort sur la protection des mineurs : est exigé par l’ANVITA le respect du droit des Mineur-e-s Non Accompagné-e-s (MNA) et des jeunes majeur-e-s lorsque leur prise en charge est défaillante par les conseils départementaux et l’Etat. Le principe de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant doit primer sur toute autre considération. Ces droits sont garantis par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 et conformément au code de l’action sociale et des familles et des circulaires d’application (Mai 2013 et janvier 2016). Le cas des jeunes « mijeurs » – qui n’ont pas été reconnus mineur-e-s par l’administration mais pas prouvé-e-s majeur-e-s non plus – est un sujet capital, qui est notamment traité dans le film “Les engagés” dont nous sommes partenaires.
Les collectivités agissent déjà !
La métropole de Grenoble a par exemple mis en place un programme d’emploi pour les bénéficiaires d’une protection internationale, Montreuil, Nantes et Rouen ont créé des plateformes ou dispositifs spécifiques pour l’apprentissage du Français et Strasbourg a mis en place des bourses universitaires pour les réfugié·e·s. Pour tout comprendre… trois villes françaises !
Briançon, Provence-Alpes-Côte d’Azur
La ville de Briançon est connue pour ses paysages environnants montagneux magnifiques, mais aussi pour être l’une des nouvelles routes empruntées par les personnes exilé-es passant par le sud de la Méditerranée jusqu’à l’Italie. Avec seulement 15 000 habitants et 15km qui la sépare de la frontière italienne, le territoire a vu affluer des personnes étant parvenues à traverser les Alpes lors de la crise migratoire de 2015. C’est une route extrêmement dangereuse : ceux qui ont survécu à la traversée ont dû en majorité franchir le col de l’Echelle (1762m d’altitude) après la fermeture du passage de La Roya.
CCFD Terre-solidaire nous raconte l’historique de cette mobilisation : depuis septembre 2017, 1 500 personnes sont passées par une structure d’accueil d’urgence dans une ancienne caserne de Centre Social Rural ( CSR) de montagne mis à disposition deux mois plus tôt par la communauté de communes. Elle est gérée par l’association Coordination Réfugiés Solidaires (CRS) créée pour l’occasion. Deux ans auparavant, le mouvement citoyen Tous Migrants naît spontanément en septembre 2015. Il s’est, depuis, structuré en association, pour exprimer une indignation collective face au drame humanitaire vécu par des millions de migrants en Europe. Si la société civile briançonnaise s’engage aux côtés des migrants, la municipalité a suivi peu après. Elle se positionne comme ville d’accueil et apporte un appui supplémentaire aux associations chargées de gérer le Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) et le Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), structures ouvertes par l’État à Briançon en septembre 2015. Depuis, les acteurs de la société civile et le territoire joignent leurs efforts de plaidoyer pour l’accueil des personnes exilé-e- s : « Sur ce territoire, vous êtes les bienvenus », déclare le maire Divers gauche Gérard Fromm, en avril 2017. Mais la solidarité n’empêche pas le danger : la position de la préfecture sur ces nouvelles arrivées est scrutée dans l’appréhension d’un blocage et les acteurs militants restent aux aguets.
Nantes, Loire-Atlantique
Membre du Réseau des maires solidaires, la ville de Nantes (Loire-Atlantique) défend l’accueil comme une responsabilité incombant à chaque collectivité. La municipalité concentre également son attention sur l’intégration, la mobilisation de moyens d’accompagnement social dédiés via le Centre communal d’action sociale (CCAS), mais également la mobilisation des services d’éducation. De même, la ville ne souhaite pas se limiter à l’urgence mais tente d’inscrire les questions d’intégration et de lutte contre les discriminations dans une politique territoriale inclusive selon la mairesse, Johanna Rolland. L’inclusion de la ville dans le réseau européen Eurocities et le rôle d’animation que Nantes y a joué peuvent permettre de développer les réseaux de solidarité et d ’échanges de bonnes pratiques en matière d’accueil et d’intégration à l’échelle de l ’Europe. Figurant dans le guide « des municipalités qui agissent », Nantes s’appuie sur des principes d’égalité et de lutte contre les discriminations, la création du Conseil nantais pour la citoyenneté des étrangers (CNCE) vise à permettre à chacune de trouver sa place dans la ville, de participer à « 26 municipalités qui agissent » pour la vie sociale locale tout en promulguant le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales.
Ivry-sur-Seine, Ile-de-France
Le 6 septembre 2016, à la mairie de Paris, Anne Hidalgo, maire de Paris, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, ainsi que Philippe Bouyssou, le maire d’Ivry, présentaient les futurs camps de réfugiés de Paris et d’Ivry. En effet, en janvier 2017, Ivry-port a accueilli, sur des terrains appartenant à la ville de Paris, un centre d’hébergement temporaire pour trois-cent cinquante migrants, géré par Emmaüs Solidarité. Ouvert en janvier 2017, cette structure a été pensée comme un espace hors de l’urgence où les personnes peuvent s’engager sur un parcours de reconstruction et d’autonomie qui, outre les questions administratives liées à l’ouverture des droits, inclut un travail sur la réappropriation du quotidien mais aussi l’adaptation des fonctionnements individuels et familiaux aux réalités du contexte actuel de la société française. Malgré les inquiétudes initiales des riverains face à la ville de Calais, l’initiative de cette ville populaire est une réussite. Selon Emmaüs, le camp se donne ainsi pour objectif d’allier le traitement de l’urgence avec la mise en place d’un accompagnement social qui prenne en compte toutes les composantes de la vie des personnes (santé, parentalité, culture, emploi…) et leur apporte les clefs pour poursuivre leur parcours en dehors du centre. Plusieurs objectifs sont poursuivis dans l’accueil :
- Mettre à l’abri les personnes les plus vulnérables
- Sécuriser la situation administrative des personnes vulnérables et travailler sur l’ouverture des droits individuels et familiaux
- Permettre l’accès aux soins et à la prévention en matière de santé physique et psychique
- Travailler l’orientation vers un hébergement stable ou l’accès au logement, en fonction des situations individuelles et familiales
- Favoriser le développement et l’acquisition des compétences sociales de base (accès à la langue, connaissance des institutions…)
- Travailler sur l’adaptation des fonctionnements individuels et/ou familiaux au contexte de la société française tout en valorisant et préservant la culture d’origine
- Aider les personnes à trouver ou retrouver des repères dans l’organisation de leur quotidien.
Des territoires solidaires partout dans le monde
Les collectivités françaises ne sont pas seules dans cette démarche. Les personnes qui fuient la guerre ou la persécution – de même que celles qui n’ont pas de nationalité, les apatrides – sont souvent privées d’accès à une éducation de qualité, aux soins de santé et à l’emploi. En 2018, le Haut Commissariat aux Réfugiés ( HCR), l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a lancé sa campagne pour des villes solidaires #Aveclesréfugiés, une initiative qui invite les villes à signer une déclaration d’invitation officielle aux familles qui ont été forcées de fuir. Nombre de ces villes incluent les réfugiés dans leurs politiques et leurs décisions. Plus de 250 villes de 50 pays se sont déjà déclarées solidaires. Parmi elles : Milan en Italie, Sao Paulo au Brésil, Victoria (Colombie Britannique, Canada) et Vienne, en Autriche. L’autre raison de la création de ces réseaux de villes est la reconnaissance par les organisations internationales du rôle des municipalités comme partenaires des politiques publiques. De nombreux réseaux sont des émanations des organisations internationales : Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) est le conseil représentatif des collectivités territoriales dans le système onusien. Réseau généraliste, il héberge un groupe de travail sur les questions migratoires et finance l’Observatoire des villes inclusives (Ovi). Le réseau des villes interculturelles (ICN) est un projet du Conseil de l’Europe ; celui des villes inclusives et durables (Iccar), un projet de l’Unesco pour la lutte contre le racisme et la discrimination (pour en savoir plus : de Facto, Les villes accueillantes, février 2020).
Si vous souhaitez agir aussi et inciter votre commune et votre ville à s’engager en faveur d’un meilleur accueil des personnes exilées comme les villes de Briançon, Nantes, Ivry ou encore Milan, et Sao Paulo, c’est possible ! Il suffit juste de s’inscrire sur le formulaire ci-dessous pour recevoir un kit d’interpellation de votre commune, sur la thématique des exilés et aussi sur celle des choix de financements de vos collectivités
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